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BRÉSIL : PRAIA DO FORTE Évaluer la capacité de charge pour les activités d’observation des baleines dans une aire protégée

Histoire et contexte

Les activités d’observation des baleines ont commencé au Brésil sur l’archipel des Abrolhos dans les années 1990, et ont gagné en popularité au cours des dix années suivantes. Elles se concentrent sur une population de baleines à bosse qui migrent chaque année de l’Antarctique vers ces îles du large pour s’accoupler, mettre bas et allaiter leurs baleineaux. Cette population augmente rapidement depuis l’arrêt de la chasse commerciale à la baleine1-4. En 2001, le tourisme d’observation s’est étendu plus au nord, à Praia do Forte et, de là, à plusieurs autres villes côtières de l’État de Bahia. Entre 2001 et 2004, ces activités à Praia do Forte étaient proposées par un seul opérateur qui travaillait en étroite collaboration avec le groupe de recherche et de conservation du Projeto Baleia Jubarte, le projet sur les baleines à bosse5. L’observation était gratifiante sur cette côte, où le plateau continental est étroit et où les baleines à bosse se trouvent souvent plus près des côtes que dans d’autres zones du littoral brésilien. Reconnaissant la valeur de cet habitat unique, le Gouvernement a créé une aire marine protégée d’environ 3 600 kilomètres carrés, appelée Área de Proteção Ambiental da Plataforma Continental do Litoral Norte, aire de protection du plateau continental de la côte nord. 

Depuis 2004, l’observation des baleines s’est poursuivie dans cette aire protégée, augmentant progressivement au point que quatre opérateurs basés à Praia do Forte ont effectué en 2015 une moyenne de 13 sorties par jour, accueillant plus de 3 000 touristes au cours de la saison6. Ces quatre opérateurs collaborent tous avec le Projeto Baleia Jubarte. Ils accueillent sur les bateaux d’excursion des chercheurs qui recueillent des données de photo-identification et d’autres observations de baleines, et ils participent même financièrement aux actions de recherche et de conservation de l’ONG6. Les membres du Projeto Baleia Jubarte forment les exploitants des bateaux et les guides des quatre entreprises, et sensibilisent les gens à la nécessité de respecter les lignes directrices d’approche pour réduire au minimum le dérangement des cétacés6. Ils contribuent également à garantir que les opérateurs intègrent un élément éducatif important dans leurs circuits. 

À partir de la saison touristique 2016-2017, le secteur de l’observation des baleines semblait être en équilibre et en harmonie à Praia do Forte. Cependant, constatant la tendance à l’augmentation du nombre de touristes dans tout le Brésil et conscient que d’autres destinations d’observation des cétacés dans le monde avaient connu des explosions incontrôlées du nombre de touristes, le Projeto Baleia Jubarte a lancé une étude pour tenter d’évaluer la capacité de charge de la ville et de l’aire protégée en matière d’activités d’observation des baleines, afin de se préparer à une éventuelle expansion.

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Réglementations et mesures de gestion

Il existe actuellement près de 20 réglementations légales créées spécialement pour la protection des cétacés présents dans les eaux brésiliennes, dont le Décret n° 6 698 de 2008 qui a fait des eaux marines sous juridiction brésilienne un sanctuaire pour les cétacés. 

La réglementation spécifique à l’observation des baleines est entrée en vigueur en 1990. En 1996, l’Ordonnance n° 2 306 a été amendée par l’Ordonnance IBAMA n° 117. Le nouveau règlement définit notamment la distance d’approche minimale de 100 m de toute espèce de baleine, l’altitude minimale de 100 m de tout cétacé pour tout aéronef, la durée maximale de 30 minutes pour l’observation de tout groupe de baleines ainsi que la distance minimale de 50 m de toute espèce de baleine pour la plongée ou la nage. Il établit également des normes pour l’exploitation des bateaux touristiques dans les zones protégées. En 2002, l’ordonnance IBAMA n° 24 a apporté quelques amendements à l’Ordonnance n° 117, exigeant que les moteurs des bateaux soient maintenus au point mort pendant l’observation des baleines à bosse, et éteints ou au point mort pour les autres espèces de cétacés. La nouvelle réglementation stipule également que deux bateaux au maximum peuvent s’approcher simultanément d’une baleine ou d’un groupe de baleines. 

Bien que les lignes directrices d’approche soient claires, les réglementations nationales actuelles n’exigent pas que les tour-opérateurs aient une autorisation spéciale pour proposer des activités d’observation des baleines. Il n’existe donc aucun mécanisme permettant de limiter ou de contrôler le nombre d’opérateurs, de bateaux ou d’excursions d’observation des cétacés dans une région donnée à un moment donné. Afin de se préparer à une éventuelle expansion du tourisme et des activités d’observation des baleines à Praia do Forte, le Projeto Baleia Jubarte a tenté d’utiliser un cadre pour calculer la capacité de charge maximale de la région. Ce cadre tient compte de quatre types de capacité de charge6,7 :

  1. Capacité de charge biologique – du point de vue des baleines – combien de bateaux ou d’excursions peuvent être supportés par jour ou par semaine avant que les conséquences à court terme de leur présence (qui ont été bien documentées dans plusieurs études8-11) se traduisent par des effets à long terme tels qu’une diminution de la condition physique ou de la reproduction12-14 ou un éloignement de la zone de dérangement15 ?
  2. Capacité de charge sociale – du point de vue des touristes – à partir de quel moment le nombre d’autres bateaux d’excursion et/ou d’autres touristes commence-t-il à les empêcher de profiter de leur rencontre avec les baleines, ou à les faire craindre qu’ils affectent négativement les baleines ? Des recherches menées dans d’autres lieux ont montré que les problèmes d’affluence sont importants pour la perception des touristes et le plaisir qu’ils éprouvent à observer les cétacés16-18.
  3. Capacité de charge économique – du point de vue des tour-opérateurs – à quel moment l’offre d’excursions dépasse-t-elle la demande ? Dans ce cas, les tour-opérateurs se feront concurrence pour attirer les touristes, ce qui risque de faire baisser les prix des circuits et de réduire les revenus de tous les opérateurs ou d’en faire profiter certains alors que d’autres échouent.
  4. Capacité de charge en matière de gestion – du point de vue du gouvernement local/des autorités du parc/des parties prenantes locales – un système de gestion est-il en place, et si oui, à quel moment le nombre de visites proposées devient-il trop difficile à administrer et à contrôler, ou commence-t-il à interférer avec d’autres activités côtières (nécessaires) ?

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Leçons apprises

En appliquant le modèle de capacité de charge en quatre volets aux activités d’observation des baleines à Praia do Forte, les auteurs de l’étude menée par le Projeto Baleia Jubarte ont déterminé qu’actuellement, ce tourisme semble fonctionner dans les limites de sa capacité de charge, et qu’un certain nombre de points forts peuvent être reconnus dans chacun des quatre domaines :

  • En matière de capacité de charge biologique, les baleines ne subissent pas de pression excessive, car le nombre d’excursions quotidiennes reste raisonnable et la durée de séjour moyenne des baleines à Praia do Forte n’est que de 5,3 jours19, ce qui réduit le temps pendant lequel elles sont exposées aux activités d’observation. Les chercheurs ont documenté un taux élevé de respect des lignes directrices d’approche par les tour-opérateurs, limitant les dérangements potentiels dus au bruit des moteurs et à la présence des bateaux20
  • En matière de capacité de charge sociale, les touristes sont en majorité très positifs quant à leurs expériences d’observation des baleines à Praia do Forte. En 2015, 96 % des touristes interrogés ont déclaré qu’ils iraient à nouveau observer les baleines à Praia do Forte, et 76 % ont jugé excellente la conduite du bateau par l’opérateur6.
  • Le secteur semble également fonctionner dans les limites de la capacité de charge économique, trois tour-opérateurs sur quatre estimant qu’il est possible d’augmenter le nombre de bateaux proposant des excursions, pour autant que la demande des touristes existe. Un seul opérateur estime que le secteur ne devrait pas se développer davantage6.
  • Le secteur n’a pas non plus encore dépassé les capacités de gestion, les chercheurs ayant constaté des taux élevés de respect des réglementations en matière d’approche20. Une collaboration étroite entre les chercheurs et les quatre opérateurs permet de s’assurer que ces derniers sont très conscients des besoins de conservation des baleines et qu’ils sont prêts à investir dans des mesures de recherche et de gestion axées sur la conservation.

Toutefois, les auteurs de l’étude sur la capacité de charge soulignent également les faiblesses potentielles du système actuel et formulent un certain nombre de recommandations concernant de futures mesures de gestion :

  • Des recherches ont montré que les baleines à bosse femelles accompagnées de baleineaux sont concentrées plus près des côtes, en particulier vers la fin de la saison d’observation, lorsqu’elles allaitent leurs petits afin qu’ils prennent le plus de poids et de forces possible avant de migrer vers les aires d’alimentation de l’Antarctique4,21. Les baleineaux sont les plus vulnérables aux effets potentiels des activités d’observation, car l’approche répétée des bateaux peut régulièrement interrompre l’allaitement et ainsi compromettre leur croissance. Si le secteur de l’observation des baleines continue à se développer à Praia do Forte, les gestionnaires pourraient envisager d’introduire des directives d’approche plus protectrices pour les mères et leurs petits (par exemple, des distances d’approche minimales de 300 m au lieu de 100 m, ou une limite de temps de 15 minutes seulement), ou de mettre en place des fermetures spatio-temporelles pour les zones les plus utilisées par les mères et les baleineaux vers la fin de la saison6.
  • Si certains opérateurs d’observation des baleines à Praia do Forte estiment qu’il y a de la place pour que le secteur se développe, au moins l’un d’entre eux pense que cela ne devrait pas être le cas6. Il convient de poursuivre les recherches scientifiques sur les conséquences des bateaux sur le comportement des baleines, la satisfaction des touristes et la satisfaction/le succès des opérateurs, afin de surveiller le secteur et de tenter de quantifier le nombre maximal de visites qui pourraient être effectuées quotidiennement avant que la capacité de charge ne soit dépassée d’un point de vue biologique, social ou économique. Une fois cela déterminé, un système de permis pourrait être mis en place pour plafonner le nombre d’opérateurs ou de bateaux autorisés à opérer dans une zone particulière6.
  • Le Gouvernement a peu ou pas participé à la gestion du secteur de l’observation des baleines dans l’État de Bahia6. Jusqu’à présent, la collaboration efficace entre les autres parties prenantes – à savoir l’ONG chargée de la recherche et de la sensibilisation et les tour-opérateurs – a suffi à gérer le secteur, d’autant plus que les tour-opérateurs ont eu le sentiment de s’approprier leur propre réglementation et de participer à son élaboration. Ce recours à l’autoréglementation suppose toutefois que tous les partenaires respectent les règles, et l’introduction de nouveaux opérateurs pourrait entraîner un risque de concurrence accrue et de baisse des niveaux de collaboration et/ou de respect des réglementations.

Pour plus d’informations sur la gestion des activités d’observation des baleines dans la région de Praia do Forte/Bahia :

Le projet sur les baleines à bosse au Brésil : Projeto Baleia Jubarte

 http://www.baleiajubarte.org.b...

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Références

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  4. Bortolotto, G. A., Danilewicz, D., Hammond, P. S., Thomas, L. & Zerbini, A. N. Whale distribution in a breeding area: spatial models of habitat use and abundance of western South Atlantic humpback whales. Marine Ecology Progress Series 585, 213-227 (2017).
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  21. Cipolotti, S. R. Composição dos Grupos Sociais da Baleia Jubarte (Megaptera novaeangliae) e sua distribuição por profundidade observada a bordo das embarcações de turismo, na Praia do Forte, Bahia – Brasil. Dissertação apresentada ao Programa de PósGraduação em Ecologia e Conservação da Biodiversidade da Universidade Estadual de Santa Cruz , Brazil, 49 (2013).

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